Dimanche 3 février 2019

4ème dimanche ordinaire, année C

La Présentation du Seigneur et la fête de la vie consacrée

Quarante jours après Noël, nous célébrons le Seigneur qui, en entrant dans le temple, va à la
rencontre de son peuple. Dans l’Orient chrétien, cette fête est précisément désignée comme la
‘‘Fête de la rencontre’’ : c’est la rencontre entre le Divin Enfant, qui apporte la nouveauté, et
l’humanité en attente, représentée par les anciens du temple.
Dans le temple se produit également une autre rencontre, celle entre deux couples : d’une part
les jeunes gens Marie et Joseph, d’autre part les anciens Siméon et Anne. Les anciens reçoivent
des jeunes gens, les jeunes gens se ressourcent auprès des anciens. Marie et Joseph retrouvent
en effet dans le temple les racines du peuple, et c’est important, car la promesse de Dieu ne se
réalise pas individuellement et d’un seul coup, mais ensemble et tout au long de l’histoire. Et ils
trouvent aussi les racines de la foi, car la foi n’est pas une notion à apprendre dans un livre, mais
l’art de vivre avec Dieu, qui s’apprend par l’expérience de ceux qui nous ont précédés sur le
chemin. Ainsi, les deux jeunes, en rencontrant les anciens, se retrouvent eux-mêmes. Et les deux
anciens, vers la fin de leurs jours, reçoivent Jésus, le sens de leur vie. Cet épisode accomplit ainsi
la prophétie de Joël : « Vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des
visions » (3, 1). Dans cette rencontre, les jeunes voient leur mission et les anciens réalisent leurs
rêves. Tout cela parce qu’au centre de la rencontre se trouve Jésus.
Regardons-nous, chers frères et soeurs consacrés. Tout a commencé par la rencontre avec le
Seigneur. D’une rencontre et d’un appel, est né le chemin de consécration. Il faut en faire
mémoire. Et si nous faisons bien mémoire, nous verrons que dans cette rencontre nous n’étions
pas seuls avec Jésus : il y avait également le peuple de Dieu, l’Église, les jeunes et les anciens,
comme dans l’Évangile. Il y a là un détail intéressant : tandis que les jeunes gens Marie et Joseph
observent fidèlement les prescriptions de la Loi – l’Évangile le dit quatre fois – ils ne parlent
jamais ; les anciens Siméon et Anne arrivent et prophétisent. Ce devrait être le contraire : en
général, ce sont les jeunes qui parlent avec enthousiasme de l’avenir, tandis que les anciens
gardent le passé. Dans l’Evangile c’est l’inverse qui se passe, car quand on rencontre le Seigneur,
les surprises de Dieu arrivent à point nommé. Pour leur permettre d’avoir lieu dans la vie
consacrée, il convient de se rappeler qu’on ne peut pas renouveler la rencontre avec le Seigneur
sans l’autre : ne jamais laisser quelqu’un derrière, ne jamais faire de mise à l’écart
générationnelle, mais s’accompagner chaque jour, mettant le Seigneur au centre. Car si les
jeunes sont appelés à ouvrir de nouvelles portes, les anciens ont les clefs. Et la jeunesse d’un
institut se trouve dans le ressourcement aux racines, en écoutant les anciens. Il n’y a pas d’avenir
sans cette rencontre entre les anciens et les jeunes ; il n’y a pas de croissance sans racines et il n’y
a pas de floraison sans de nouveaux bourgeons. Jamais de prophétie sans mémoire, jamais de
mémoire sans prophétie ; et il faut toujours se rencontrer.
La vie frénétique d’aujourd’hui conduit à fermer de nombreuses portes à la rencontre, souvent
par peur de l’autre.
– Les portes des centres commerciaux et les connexions de réseau demeurent toujours ouvertes
-. Mais que dans la vie consacrée ceci ne se produise pas : le frère et la soeur que Dieu me donne
font partie de mon histoire, ils sont des dons à protéger. Qu’il n’arrive pas de regarder l’écran du
téléphone portable plus que les yeux du frère ou de s’attacher à nos programmes plus qu’au
Seigneur. Car quand on place au centre les projets, les techniques et les structures, la vie
consacrée cesse d’attirer et ne communique plus ; elle ne fleurit pas, parce qu’elle oublie ‘‘ce
qu’elle a sous terre’’, c’est-à-dire les racines.
La vie consacrée naît et renaît de la rencontre avec Jésus tel qu’il est : pauvre, chaste et obéissant.
Il y a une double voie qu’elle emprunte : d’une part l’initiative d’amour de Dieu, d’où tout part et à
laquelle nous devons toujours retourner ; d’autre part, notre réponse, qui est la réponse d’un
amour authentique quand il est sans si et sans mais, quand il imite Jésus pauvre, chaste et
obéissant. Ainsi, tandis que la vie du monde cherche à accaparer, la vie consacrée renonce aux
richesses qui passent pour embrasser Celui qui reste. La vie du monde poursuit les plaisirs et les
aspirations personnelles, la vie consacrée libère l’affection de toute possession pour aimer
pleinement Dieu et les autres. La vie du monde s’obstine à faire ce qu’elle veut, la vie consacrée
choisit l’obéissance humble comme une liberté plus grande. Et tandis que la vie du monde laisse
rapidement vides les mains et le coeur, la vie selon Jésus remplit de paix jusqu’à la fin, comme
dans l’Évangile, où les anciens arrivent heureux au soir de leur vie, avec le Seigneur entre les
mains et la joie dans le coeur.
Que de bien cela nous fait, comme à Siméon, de tenir le Seigneur « dans les bras » (Luc 2, 28) !
Non pas seulement dans la tête et dans le coeur, mais dans les mains, en tout ce que nous
faisons : dans la prière, au travail, à table, au téléphone, à l’école, auprès des pauvres, partout.
Avoir le Seigneur dans les mains, c’est l’antidote contre le mysticisme isolé et l’activisme effréné,
car la rencontre réelle avec Jésus redresse aussi bien les sentimentalistes dévots que les
affairistes frénétiques. Vivre la rencontre avec Jésus, c’est aussi le remède à la paralysie de la
normalité, c’est s’ouvrir au remue-ménage quotidien de la grâce. Se laisser rencontrer par Jésus,
faire rencontrer Jésus : c’est le secret pour maintenir vivante la flamme de la vie spirituelle. Se
rencontrer en Jésus comme frères et soeurs, comme jeunes et anciens, pour surmonter la
rhétorique stérile des ‘‘beaux temps passés’’. Si on rencontre chaque jour Jésus et les frères, le
coeur ne se polarise pas vers le passé ou vers l’avenir, mais il vit l’aujourd’hui de Dieu en paix avec
tous.
À la fin des Évangiles, il y a une autre rencontre avec Jésus qui peut inspirer la vie consacrée :
celle des femmes au tombeau. Elles étaient allées rencontrer un mort, leur chemin semblait
inutile. Vous aussi, vous allez à contre-courant dans le monde : la vie du monde rejette facilement
la pauvreté, la chasteté et l’obéissance. Mais, comme ces femmes, vous allez de l’avant, malgré
les préoccupations concernant les lourdes pierres à enlever (cf. Mc 16, 3). Et comme ces femmes,
les premiers, vous rencontrez le Seigneur ressuscité et vivant, vous l’étreignez (cf. Mt 28, 9) et
vous l’annoncez immédiatement aux frères, les yeux pétillants d’une grande joie (cf. v. 8). Vous
êtes aussi l’aube sans fin de l’Église.

Messe pour les consacrés. Homélie du Pape François. Vendredi 2 février 2018