LA « GRANDE SEMAINE » un pèlerinage à la suite du Christ
« La Semaine Sainte est destinée à commémorer la Passion du Christ depuis son entrée messianique à Jérusalem. » (Normes Universelles de l’Année Liturgique n° 31). C’est donc elle, dans son unité structurelle, que nous inaugurons aujourd’hui.
Cependant, dans les premières années qui suivent les événements fondateurs, les chrétiens n’avaient qu’une seule liturgie : celle de Pâques qui était célébrée chaque dimanche. Dès les récits du Nouveau Testament cette pratique est attestée (cf. Jn 20, 19 ; Ac 20, 7 ; 1Co 11, 23 ; etc.).
Il faudra attendre le milieu du 2 e siècle pour que se mette en place une fête annuelle de Pâques, fixée après la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps. Au siècle suivant des chrétiens ont voulu revivre les événements de la Passion en suivant les indications des évangiles. C’est le 4 e siècle qui verra se formaliser ce que l’évêque de Milan, saint Ambroise, nomme le « Triduum sacré ». Ce même siècle verra naître la fête des Rameaux où l’on célèbrera l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem.
Nul ne s’étonnera que ce soit l’Église de la Ville où les faits se sont déroulés qui soit pionnière pour ce qui concerne ces liturgies. Nous sommes bien renseignés sur ce qui se passe dans la Ville sainte grâce aux récits des pèlerins occidentaux qui se sont rendus sur place. Ainsi la pèlerine gauloise Égérie qui décrit scrupuleusement ce qu’elle a vu et entendu à l’intention de sa communauté d’origine.
Après avoir rendu compte du Carême, elle écrit : « Le lendemain (du samedi de la septième semaine), c’est-à-dire le dimanche, où l’on entre dans la semaine pascale (…) l’archidiacre élève la voix et dit tout d’abord : “Toute la semaine, à partir de demain, rassemblons-nous tous à la neuvième heure (15 heures) au Martyrium (ce que nous appelons aujourd’hui le Saint- Sépulcre).“ Ensuite il élève encore la voix et dit : “Aujourd’hui, soyons tous présents à l’Éléona (sur le Mont des Oliviers) à la septième heure (13 heures).“ (…) Quand la onzième heure commence, on lit ce passage de l’évangile où des enfants avec des rameaux et des palmes, vinrent à la rencontre du Seigneur. (…) Puis, du sommet du mont des Oliviers on fait le chemin à pied à travers toute la vile. (…) Tous tiennent des rameaux, qui de palmier, qui d’olivier. » (Égérie « Journal de voyage », collection « Sources chrétiennes » n° 296, Cerf, Paris, 1997, pp. 271…275). Puis jour après jour la pèlerine raconte ce qui se passe dans cette communauté qui ne compte pas ses heures de présence à l’église…
Nous sommes d’autant mieux renseignés sur la signification de ces liturgies que nous possédons plusieurs collections d’homélies prononcées pas des évêques contemporains, en particulier celles de saint Cyrille de Jérusalem qu’il est très vraisemblable qu’Égérie ait entendu.
Il ne faut pas oublier qu’à cette époque Jérusalem est devenue une ville chrétienne. En 313 l’empereur Constantin (qui a établi sa capitale à Byzance devenue Constantinople) donne, par l’Édit de Milan, la liberté de culte aux chrétiens. En 325 il envoie l’architecte Zénobie construire des églises destinées à glorifier la mort et la résurrection du Christ : la Ville devient un lieu de pèlerinage qui attire de plus en plus de chrétiens. Parmi eux sainte Hélène : convertie en 312, la propre mère de l’empereur, y séjourne en 326. C’est à elle que l’on attribue la découverte de la « Vraie Croix ».
Nous disposons de suffisamment d’éléments pour pouvoir dresser un plan très précis de la Ville sainte à la période byzantine (entre le 4 e et le 6 e siècle). Ainsi la célèbre carte de Madaba (Jordanie, mosaïque du 6 e siècle) et, de nos jours, la maquette réalisée précisément et scientifiquement sous la direction des Pères assomptionistes de Saint-Pierre en Gallicante sur le Mont Sion.
extrait de la carte de Madaba : « Sainte ville de Jérusalem » et ses environs
On y voit très clairement en particulier :
– l’Éléona, bâtie vers 330 au sommet du Mont des Oliviers : c’est de là que partait la procession des Rameaux évoquée plus haut ;
– la Sainte Sion, consacrée en 413 sur le lieu du Cénacle de la Cène du Jeudi Saint (et de la Pentecôte) ;
– la basilique de l’Agonie, élévée vers 380 au pied du Mont des Oliviers, là où Jésus a prié son Père et où il a demandé aux Apôtres de veiller et de prier pour ne pas entrer en tentation ;
– Saint-Pierre en Gallicante (= où le coq a chanté) datant de la fin du 5 e siècle : on y commémore le jugement de Jésus par le Sanhédrin et sa prison sur le chemin de la Croix ;
– la basilique de l’Anastasis (que les occidentaux appellent le Saint-sépulcre), achevée en 335 : l’édifice recouvrait déjà et le Golgotha et le Tombeau vide.
Autrement dit, c’est tout le déroulement de la Semaine Sainte que nous pourrons ainsi suivre sur les lieux mêmes où se sont déroulés les événements du Salut. Cette démarche accentue l’unité fondamentale de cette Semaine et ajoute à la nécessité que nous consacrions un temps notable à ces liturgies et à leur préparation.
Il est clair qu’il n’est pas possible de nous tourner vers ces sanctuaires de Terre Sainte sans nous soucier de habitants d’Israël et des Territoires palestiniens et parmi eux, singulièrement, de nos frères chrétiens de toutes confessions. Que notre prière et notre solidarité les accompagnent et les assistent.
Mgr Yvon Aybram