Dimanche 20 mai 2018

Solennité de la Pentecôte, B

CITOYENS CHRETIENS

La Lettre à Diognète

 

Quel titre exact faut-il donner à cette lecture, relecture, de la « Lettre à Diognète » ? « CITOYENS CHRETIENS » L’ordre des deux mots est important : Citoyens d’abord, Chrétiens ensuite. Il s’agit bien de souligner comment les chrétiens vivent comme citoyens. Quelle ponctuation ensuite, comme nous a toujours invités à y être attentifs Jacques Derrida ? Le trait d’union risquerait de lier les deux statuts, celui du citoyen, celui du chrétien. C’est tout le bénéfice de la lecture de la Lettre à Diognète qui est en jeu. Le point d’interrogation est, comme toujours en théologie morale, le meilleur choix. Car l’originalité de ce texte est d’abord de poser une question au IIème siècle, originalité qu’il doit conserver aujourd’hui. « Qui sont ces chrétiens ? Quels citoyens sont-ils ? Quels citoyens sont les chrétiens dans la vie de la cité ? » Au IIème siècle, sonne l’heure des persécutions, jusqu’au martyre. « Pourquoi les chrétiens refusent-ils obstinément de sacrifier aux dieux de l’Empire Romain? Sont-ils des « traîtres à la patrie » ? (Jean-Louis Gourdain, « Lignes de crête » n° 33, CdEP, oct-nov-dec 2016). Pour honorer cette question, l’auteur de la Lettre à Diognète se situe dans le courant des « apologistes », le grec JUSTIN, le latin TERTULLIEN (voir « Premiers écrits chrétiens »). L’auteur, anonyme, s’adresse à un certain Diognète, apparemment un païen qui se pose des questions sur l’identité chrétienne.

« Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois.

Ils aiment tous les hommes, et tous les persécutent. On les méconnaît, on les condamne ; on les tue et par là ils gagnent la vie. Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre. Ils manquent de tout et ils surabondent en toutes choses. On les méprise et dans ce mépris ils trouvent leur gloire. On les calomnie et ils sont justifiés. On les insulte et ils bénissent. On les outrage et ils honorent. Ne faisant que le bien, ils sont châtiés comme des scélérats. Châtiés, ils sont dans la joie comme s’ils naissaient à la vie. Les Juifs leur font la guerre comme à des étrangers ; ils sont persécutés par les Grecs et ceux qui les détestent ne sauraient dire la cause de leur haine.»

Il pourra paraître à certains qu’il y a paradoxe à définir, tout au moins à caractériser, l’identité chrétienne par le fait que les chrétiens « ne se distinguent pas des autres hommes, ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements »…Leur genre de vie n’a rien de singulier ! Il faut lire le texte mot à mot : « Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers » La traduction de J-M Salamito est un peu différente « Ils participent à tout comme des citoyens et se soumettent à tout comme des étrangers » (V,3 – p.813) Mais, s’il est bien affirmé que les chrétiens vivent dans la cité comme des « étrangers domiciliés » (en grec, paroikoi), cela signifie que, si les chrétiens vivent intégralement leur vie citoyenne dans la cité, ils sont aussi, selon un autre ordre, « citoyens du ciel » en toute intégrité, sans qu’il soit parlé « d’intégrisme ». C’est l’intégrité des chrétiens qui leur permet de vivre leur foi jusqu’à l’extrême, le martyre. Peut-on évoquer une théologie des « deux cités » (AUGUSTIN) ou des « deux règnes »(LUTHER) ? La proposition théologique de l’auteur de la Lettre à Diognète est différente. S’il y a une originalité des chrétiens dans la cité, leur vie citoyenne est comparable au lien entre l’âme et le corps. « L’âme est enfermée dans le corps ; c’est elle pourtant qui maintient le corps. Les chrétiens sont comme détenus (comme en prison), ce sont eux pourtant qui maintiennent le monde » (VI, 7)